mardi 1 septembre 2009

Hadopi 2 : lettre ouverte aux députés

Ceux qui ont suivi l'« affaire » savent comment le gouvernement tente par tous les moyens de contourner la décision du Conseil Constitutionnel - excusez du peu - de censurer la loi dite « HADOPI 1 » visant le piratage sur Internet, notamment au chapitre de l'égalité entre citoyens devant la loi, la présomption d'innocence et la liberté d'expression...

Les autres seraient bien avisés de lever le nez de leur Télé 7 jours ou de leur match de foot pour contempler la façon dont notre liberté est sacrifiée au plus haut niveau sur l'autel des bénéfices de marchands de tout poil... et s'en souvenir !

Aujourd'hui la ligue Odebi, une structure visant à défendre les libertés des internautes, vient d'adresser une lettre ouverte aux députés, bientôt solliciter pour voter godillotement ce texte inepte. Je la reproduis ici ...

Madame, Monsieur,

La présente a pour objet de revenir avec vous sur le vote prochain du projet de loi relatif à la protection pénale de la Propriété Littéraire et Artistique sur Internet, dite "HADOPI 2".

Ce projet de loi vous est présenté par le gouvernement comme la réponse adéquate au phénomène de « piratage ». Ce dernier s'appuie en particulier sur la possibilité pour un juge de couper l'accès à Internet d'un internaute accusé de « négligence caractérisée ».

La Ligue ODEBI tient à vous rappeler certains éléments vérifiables et incontestables qui démontrent que cette loi, en dépit de son objectif louable, fait fausse route.

A - Sur les fondements de la loi

Le projet de loi entend répondre à une légende urbaine selon laquelle les échanges de fichiers (musique et films, notamment), via les réseaux Internet sont préjudiciables aux artistes.

A.1 - Les études universitaires contredisent les préjugés qui fondent cette loi

Cette affirmation, gaiement relayée par le fameux « Rapport HADOPI », commandée notamment auprès de certains cabinet ayant certaines relations avec l'industrie culturelle, s'est révélée fausse d'après plusieurs études sérieuses (elles?). Certaines de ces études tendent même à affirmer le contraire. On pourra citer par exemple
- une étude réalisée par l'université de Harvard [1],
- une autre réalisée par l'université de Rennes [2],
- celles de l'Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications (ENST),
- celles de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE),
- ainsi que celle du ministère de l'industrie Canadien...

Ces études confirment toutes que le déclin des ventes n'est pas lié à l'explosion du piratage. Certaines soulignent même le contraire. En effet, les études d'HARVARD et de l'Université de Rennes démontrent, entre autres choses, que les internautes utilisant les réseaux dits « P2P » visée par cette loi dépensent plus que les autres internautes en œuvres culturelles, et surtout que les réseaux P2P leur permettent de découvrir de nouveaux artistes et d'acheter plus.

Le P2P, comme le prétendait l'OCDE dès 2004, semble donc être un nouveau canal de promotion efficace et utile aux artistes contrairement à ce que prétend la propagande des maisons de disques.

A.2 - Des expériences commerciales démontrent que le réseau P2P est un nouveau canal de diffusion puissant

Plusieurs expériences récentes ont montré que lorsque l'on propose un contenu gratuit, ou encore quand on laisse au consommateur la prérogative de fixer le prix d'un album de musique par exemple, le disque rencontre un franc succès et devient finalement aussi rentable (voire plus) qu'un disque soumis à une promotion "classique".

On citera par exemple Moby, actuellement l'un des musiciens les plus populaires au niveau mondial, dont la meilleure vente est le titre gratuit [3]. On pourra retenir également le groupe Radiohead, qui a laissé le soin à ses fans de choisir combien ils paieraient pour un de leurs albums, une initiative couronnée de succès.

Ces éléments viennent confirmer plusieurs hypothèses envisagées par certaines des études citées précédemment, selon lesquelles la diffusion « libre » de la culture comporte de nombreux avantages par rapport aux voies de promotion habituelles, et notamment une relation de proximité entre l'artiste et son public, relation qui exclut, il est vrai, les intermédiaires traditionnels que sont les maisons de disques.

A.3 - Une industrie culturelle qui n'a pas su s'adapter

Les principaux acteurs qui se plaignent actuellement sont les intermédiaires, à savoir les maisons de disques, vu que celles-ci, de fait, disparaissent dans l'échange "pair à pair".

En effet, toutes les études socioéconomiques montrent un changement économique structurel important qui entend marginaliser les intermédiaires au profit d'une relation plus directe entre créateurs et public.

La Loi HADOPI n'est donc pas faite, à priori, pour défendre les revenus des artistes ou la création mais pour défendre une industrie qui n'a pas su ou voulu s'adapter contre un bouleversement culturel devenu irréversible.

Les majors ont refusé, par exemple, pendant plus de 5 ans (2002-2007) de diffuser légalement leurs catalogues sur Internet, retardant ainsi la mise à disposition légale des œuvres sur le Net. Aujourd'hui encore, cette offre laisse à désirer, tant sur le plan de la diversité que sur celui de son intuitivité et de son coût pour le consommateur.

Les majors se plaignent du phénomène dit du « téléchargement illégal » mais celui-ci reste autrement plus simple, rapide, diversifié et sûr que l'offre légale actuelle... Ironie du sort, c'est le consommateur qui veut payer qui est pénalisé par les mécanismes de protection des DVD, CD ou MP3 légaux.

Pour reprendre une analogie d'un ancien de l'UMP (Nicolas Dupont-Aignan), on peut comparer le combat autour de la loi HADOPI à ce qui aurait pu être celui des moines copistes contre l'imprimerie. Certes, on aurait pu à l'époque défendre le monopole des moines copistes et interdire à Gutenberg de continuer à fabriquer son appareil... Mais imaginez-vous maintenant devoir passer par des moines copistes pour obtenir un livre ? Or, c'est bien ce que vos propres enfants pourraient demain vous reprocher en ce qui concerne le P2P.

B - Sur l'efficacité et les conséquences du projet de loi

B.1 - L'efficacité juridique et technique

B.1.1 - L'efficacité technique

Ce point est probablement le plus ubuesque du projet de loi. Il est clair, si l'on étudie le dispositif, qu'il a été élaboré dans la précipitation la plus totale et par des personnes manifestement incompétentes.

La liste des problèmes est longue :
- non-fiabilité de l'adresse IP
- usurpation d'adresse IP
- piratage de la connexion Wi-Fi du voisin
- utilisations frauduleuses diverses et variées de la connexion Internet d'un particulier/d'une entreprise
- avertissements par mail non-efficaces car aucun accusé réception n'existe encore sur Internet
- obligation d'installer un logiciel espion payant sur votre ordinateur qui ne fonctionne que sur 80 % du parc informatique national car non compatible avec MAC et LINUX.
- inégalités des particuliers suivant leur zone géographique (dégroupé / non-dégroupé)
- coupure de l'accès à certains services publics en ligne (informations, réseaux sociaux, déclaration d'impôts, messagerie, achat en cours sur un site en ligne ?) pour les contrevenants. Cette coupure les placerait au cœur d'une véritable "mort sociale" ce qui reviendrait au final à une double peine.
- etc...
Il faudrait des pages et des pages pour tous les énumérer et les expliquer correctement.

Soyons clairs : pour rendre cette loi efficace il faudrait contrôler toutes les identités de ceux qui accèdent à Internet, contrôler tout le trafic, interdire "le chiffrage" des échanges, interdire aux fournisseurs d'accès étrangers de proposer des offres en France via Satellite par exemple, interdire l'utilisation à des fins personnelles et non contrôlées d'Internet, interdire l'Iphone et les nouveaux portables, interdire tout protocole d'échange de type bluetooth ou infrarouge permettant l'échange de données... Bref, interdire, interdire, interdire....

B.1.2 - L'efficacité juridique

Les délires institutionnels autour de l'HADOPI sanctionnés déjà par le Conseil constitutionnel font dire à certains éminents juristes qu'HADOPI est "une malfaçon législative" [4].

Passons sur la "validité" d'un avertissement par mail qui ne garantit jamais légalement que le présumé "coupable" a bien lu les avertissements précédents ou sur le fait qu'un particulier "innocent de téléchargement" peut se voir privé de connexion à Internet - exemple du père dont le fils de 12 ans a téléchargé un film couvert par les droits d'auteur.

Les tribunaux français seront engorgés de plaintes fondées alors même que notre justice est déjà asphyxiée.

Vous préférez donc voir nos juges s'occuper de garantir le fait que Pascal Nègre puisse se payer une énième voiture de luxe plutôt que de protéger les citoyens honnêtes qui travaillent plus pour gagner plus ? C'est un choix mais un choix difficile à justifier.

B.2 - Un échec pour l'image de la démocratie française

La génération des 15-40 ans, dans sa grande majorité et toutes préférences politiques confondues, est convaincue que la loi a été réalisée pour de mauvaises raisons tant leur expérience au quotidien de l'Internet est éloignée des discours irrationnels ou incohérents, car c'est bien ainsi qu'il faut les qualifier, de certains responsables qui se veulent "spécialistes du sujet".

Passons sur l'ancienne Ministre Albanel qui voyait des "pare-feux" dans un logiciel de bureautique, démontrant ainsi sa totale incompréhension des données techniques nécessaires à l'élaboration d'une loi technique ; ne parlons pas de Frédéric Mitterrand, actuellement Ministre de la Culture, qui aimerait être "plus téléchargé" (on ne savait pas qu'il chantait).

Les vidéos circulant sur Youtube, DailyMotion concernant vos réponses, Messieurs, à des questions pourtant au cœur de la Loi, ont eu un effet désastreux sur votre image [6]. Nous y constatons avec stupeur que vous êtes dépassés par des enjeux que vous ne comprenez plus. Ce n'est pas un reproche. C'est une réalité.

Alors pourquoi votez-vous pour un texte qu'apparemment vous ne "comprenez" pas ?

A moins que M. Franck Louvrier, le mister 'Com' de notre cher président, ait bien dit tout haut ce que vous voulez au final faire sous couvert de la protection des droits d'auteur. Sa tribune dans Le Monde [6] où il arrive à cautionner HADOPI en parlant des jeunes iraniens sur Twitter est un chef d'œuvre de bêtise ou de cynisme (au choix) : on y apprend qu'HADOPI a en fait pour but de "contrôler les identités" (sic). Devant un tel spectacle, les citoyens internautes ne peuvent que crier à l'infamie.

Pourquoi voter en urgence une loi qui, non contente de reposer sur des arguments fallacieux, a pour but de protéger les marges d'une industrie qui n'est en rien vitale pour l'économie du pays, le tout pour la modique somme de plus de 200 millions d'euros en pleine période de crise où la représentation nationale devrait avoir d'autres priorités que la défense des privilèges des nantis. Comment ne pas vous soupçonner de petits arrangements entre amis qui ne font pas honneur à notre pays et à notre démocratie ?

L'image de la démocratie auprès des jeunes générations - la Ligue qui suit les débats parlementaires depuis 2002 et fait œuvre de pédagogie auprès du public afin de lui expliquer et de commenter les débats est bien placée pour le dire - est désastreuse. Si vous preniez le temps de lire les commentaires de millions de jeunes gens sur les blogs ou les forums, vous constateriez comme nous que votre attitude concernant l'HADOPI ne fait que renforcer les positions extrémistes anti-démocratiques.

L'enjeu concernant l'HADOPI ne devrait pas être de sauver une part du chiffre d'affaire d'UNIVERSAL mais de restaurer la crédibilité de la représentation nationale auprès de vos électeurs, jeunes et moins jeunes, ce qui commence par prendre en compte la réalité d'Internet plutôt que de l'ignorer.

Un vote positif sur HADOPI alimentera le discours du "tous pourris" et il sera malheureusement bien difficile d'argumenter à l'encontre de ce préjugé tant les tenants et les aboutissants de cette affaire se prêtent aux rumeurs les plus folles.

Conclusion

Résumons donc les choses, si vous étiez amené à voter en faveur ce projet de loi, vous vous engageriez donc :
- A refuser d'assumer l'évolution de la société, a déclarer la guerre à l'Internet tout en ignorant les réalités de celui-ci.
- A voter pour une loi qui se veut rétrograde, qui sert les intérêts privés des industries culturelles qui n'ont pas su prendre en compte les énormes possibilités offertes par Internet. Ce qui alimentera, en outre, les théories du complots diverses et variées affirmant qu'il existe une collusion entre le gouvernement et les grand loobys.
- A faire subir à l'ensemble des internautes français, d'une part l'inaptitude de ces industries culturelles à évoluer, d'autre part l'incompétence des personnes qui ont rédigés cette loi.
- A assumer les plaintes de centaines de personnes qui auront dû installer malgré elle le mouchard payant car leur WiFi aura été piraté ou leur adresse IP aura été usurpée [8].
- A revenir parler du même sujet dans deux ou trois ans, lorsqu'enfin vous aurez compris (sans vouloir l'admettre) que cette loi n'était qu'une vulgaire perte de temps, tout comme avec la loi DADVSI l'a été.
- A participer à la crise économique, puisque cette loi coutera 200 millions d'euros alors même qu'elle sera totalement inefficace.

Quid du progrès et de l'intérêt général ? Partager n'est pas voler ! Il existe des alternatives qui n'ont jamais été envisagée sérieusement. Pourquoi la répression ? Nous vous appelons solennellement à arrêter de stigmatiser Internet et de l'envisager systématiquement comme un danger, ainsi qu'à demander un vrai débat sur la question de l'adaptation du droit d'auteur à l'ère numérique et de la rémunération des artistes à partir du peer-to-peer.

[1] Etude de Harvard sur le partage de fichiers
http://www.hbs.edu/research/pdf/09-132.pdf

[2] Etude de l'université de Rennes sur les pratiques de consommation de vidéos sur Internet
http://www.marsouin.org/IMG/pdf/etudeusagep2p.pdf

[3] La meilleure vente de Moby est son titre gratuit
http://www.20min.ch/ro/entertainment/people/story/18657595

[4] HADOPI 2 : malfaçon législative
http://www.maitre-eolas.fr/post/2009/07/27/HADOPI-2-%3A-quelques-perles

[5] Vidéo sur les réponses des députés aux questions sur l'HADOPI
http://www.wat.tv/video/deputes-sont-incompetents-1gwch_ovzl_.html

[6] Franck Louvrier - Tribune dans le monde :
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/08/21/internet-et-son-potent...

[7] Le projet de loi Hadopi va coûter cher, très cher selon les FAI
http://www.pcinpact.com/actu/news/50785-hadopi-budget-fai-ftt-millions.htm

[8] « N’importe quel internaute peut être accusé de piratage (et condamné à payer une amende ou à voir son accès Internet coupé) et faire accuser n’importe qui de piratage. »
http://www.ecrans.fr/Surveillance-du-p2p,4312.htm

Le scandale du licenciement de Jérôme Bourreau-Guggenheim de chez TF1 illustre bien, d'ailleurs, cette collusion politique/médias/marchands...

Petite piqûre de rappel :



en guise de « sanction », le « collaborateur en question », Christophe Tardieu, a d'ailleurs été nommé président du conseil d'administration du centre national de la danse, par décret du Président de la République du 26 août 2009 (voir ici)... Jérôme, quant à lui, n'a toujours pas de boulot...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire